Coeur d'Acier

 Le grésillement n'arrêtait pas. Il ne s’arrêterait jamais.
 Son dos hurlait d'une douleur sourde. Il ne l'entendait plus.

 Pas encore. Pas encore.

 Princeps. Un titre pour lequel des milliers de gouverneurs se seraient roulé dans la fange et retiré leur régence. Un rang pour lequel nombre d'adeptes Mechanicum se seraient ôté jusqu'à la dernière mécadendrite pour l'atteindre.

 Cela n'avait plus d'importance.

 Pas encore. Pas encore.

 Les tirs ennemis reprirent de plus belle, les balles ruisselant comme la pluie sur son blindage, écorchant les câbles, endommageant les moteurs, perturbant les rouages. Des roquettes fusèrent vers lui, sifflantes et criantes comme la mort. Leur choc fit trembler sa carcasse. Les tirs cessèrent alors, la fumée des explosions masquant le devenir de leur cible.

 Le corps inconscient de Graegor tomba sur le plancher. Sa tête, défigurée par l'explosion de son tableau de bord quelques minutes auparavant, agonisait sur le métal du cockpit, brûlant. Ses implants avait partiellement fondu, tout comme son œil droit, seul organe sensoriel qui n'avait pas encore été modifié. S'il survivait, et s'il était encore vivant, sa restructuration sera plus longue et douloureuse que ses pires cauchemars.

 Juste à côté de lui, Matheus était figé dans la mort, une main froide et rigide retenant ses viscères qui donnaient à la moiteur stérile du lieu une odeur ignoble. Son panneau de contrôle de timonier, ravagé et morcelé après une surcharge électrique, lui avait occasionné d'autres entailles tout aussi mortelles, cachées derrière la rivière de sang qui les reliait toutes.

 Seul survivant Audrien, Princeps du titan Warhound ''Lance d'Argent'', n'était qu'à deux doigts de l’annihilation. Pilote-esprit du titan, aussi bien garant et gardien d'une telle puissance auréolé de gloire, il n'était encore vivant que par miracle.

Pas encore. Pas encore.

 Sa conscience s'étiolait. Elle lui semblait ne tenir qu'à un fil, qu'à l'embranchement dans sa nuque par laquelle son corps et celui de Lance d'Argent ne faisaient qu'un. Sa peau se craquelait, ses lèvres se tuméfiaient, ses yeux viraient au vitreux et son sang se saturait en toxine. Ses senseurs internes indiquaient un niveau démentiel de produits divers, dont les moindres auraient tué net un astartes. Mais ses capteurs étaient aussi alertes que son esprit, et leur résultat n'était plus qu'une ombre verte sur son champ de vision, brouillant ses yeux, défaillants par les instruments du titan.

 Un soubresaut de rage émergea. L'impulsion se propagea dans le métal, et atteignit les armes. Le turbo-laser bâbord vira frénétiquement et ouvrit le feu, cherchant dans l'incertitude de sa visée la provenance des roquettes. Des fluides de refroidissement s'échappèrent de partout, formant des nuages bouillants et pollués. La terre s'ouvrit sous le choc, et chairs et os ne furent plus que poussière. Détruire. Ravager. Tuer. Exterminer. Le destructeur à plasma tribords surchauffât instantanément, et ses évents crachèrent le fluide stellaire sur les fous en contrebas, qui s’empêtrèrent dans une mélasse mortelle qui fit fondre la roche et le béton. Tuer. Détruire. Écraser. Massacrer. Les pieds martelèrent le sol comme un marteau la lame, brisant l'échine de la vermine qui se ruait vers lui. Piétiner. Tuer. Massacrer.

Pas encore. Pas encore.

 La puissance vint à manquer. Les armes se coupèrent, faute d'énergie. Des mécanismes de secours tentèrent vainement de les refroidir, mais la température ne chuta pas suffisamment. De titanesques nuages de vapeur et de poussière s'élevèrent, baignant la machine divine d'une brume surnaturelle ou ne semblait briller que les deux yeux rouges de la machine.

 Aenah. Aenah.
 Fléau Lumineux.

 Des larmes d'huile et de sang coulèrent des yeux d'Audrien. Aenah. La belle Aenah.
 Jeunes, ils avaient servit tout les deux dans le corps militaire de Maeyeta, dans la même compagnie. Ils étaient alors tous deux en attente de mise à niveau pour rejoindre des rangs plus élevés. Puis, la guerre coûtât quelques membres dans la Legio Luminis, et ils rejoignirent les rangs de la légion titanique. Ils y officièrent comme Technaugure, et grimpèrent les échelons jusqu'à finir par devenir Princeps. 362 ans pour l'un, 417 pour l'autre. L'un en Warhound véloce et sauvage, l'autre en Reaver robuste et impassible.
 Leur relation charnelle avait également évolué, se délestant des parasites morales qu'étaient les pulsions sexuelles et l’attachement amoureux, pour devenir une osmose combinatoire erratique, imprévue mais fonctionnelle. Une camaraderie silencieuse et intime, aussi discrète qu'un sourire en pixodial, aussi intense qu'une embrassade haptique. Un amour d'acier et d'huile, de fer et d'énergie. Un amour pur aux yeux du Deus Machina, père des Machines et des Esprits.

 Pas encore. Pas encore

 Leurs titans avaient finit par leur ressembler, semblaient toujours chercher à se rejoindre, à se protéger mutuellement, à palier ce que l'autre ne pouvait faire. Un comportement qui avait déjà été noté avant, mais qui s'en trouvait exacerbé par leurs pilotes.

 Mais un dieu-guerrier d'acier comme un titan pouvait-il connaître un tel sentiment ? L'avait-il apprit jadis ? Comment peut-il le ressentir ? Malgré sa place privilégiée, et son service irréprochable, Audrien n'avait jamais sut ce qu'il y avait au cœur de sa machine. Sa machine savait-elle ce qu'il y avait au cœur d'Audrien ?

 Pas encore. Pas encore.

 La masse grouillante ennemie se rua de nouveau vers Lance d'Argent. Sentant l'instant final approcher, Audrien supplia l'Omnimessie de lui donner la force. Il supplia encore quand les roquettes s'élevèrent, et supplia encore quand elle tordirent le métal de son corps divin.

Pas encore. Pas encore.

 La colère coula en lui, comme il coula dans la colère. La rage explosa et l’entraîna en son sein. Et le courroux du Warhound s'abattit.

Pas encore. PAS ENCORE !!

 Les armes s’enflammèrent, brûlèrent de milles feux ardents pendant que leurs ultimes forces et énergies les abandonnaient. Elles déchirèrent le ciel et la terre, ravagèrent le cosmos immédiat et secouèrent le lointain. Le réacteur nucléaire en fusion dégoulina de rejets radioactifs plus chauds que les étoiles, les seuils critiques n'existaient plus. Il coula des rivières de plasma sur les assaillants. Il se disloqua jusqu'à leurs atomes devant la fureur divine du titan. Rien ne le délogeraient, rien ne le détruiraient. Rien ni personne. Qu'importe qu'ils fussent les agiles Eldar ou les belliqueux Orks. Qu'importe qu'ils fussent les implacables Nécrons ou les inopposables Tyrannides. Qu'importe qu'ils fussent loyaux envers l'Imperium ou les Dieux Sombres. Il les détruirait tous.

 La peau d'Audrien se parchemina avant de s'enflammer. Sa conscience avait chuté dans un autre corps, rejoignit ses prédécesseurs, formant la pensée hétéroclite unique qui l'avait toujours guidé. De là, le Princeps continua le combat, toujours plus intense, toujours plus bestial. Toujours plus titanesque. Toujours plus divin. Milles anges pouvaient périr à son seuil, dix milles mondes entiers pouvaient se briser et disparaître, cent milles systèmes pouvaient s'embrasser sous sa colère, il sublimait sa rage et son désespoir dans une apothéose de violence et de destruction.

 Il était tel un guerrier séraphique, fait de métal et de lumière. Ses ailes de vapeurs et de fer portaient son combat partout où luisait l'Astromican. Ses épées d'énergie et de plasma pourfendaient sans peine la corruption et le mal. Son bouclier bénis du Deus le protégeait des apocalypses nucléaires comme sa chair d'acier détournait les balles. Il était Lance d'Argent, chien pourfendeur de la meute de Maeyeta. Et il protégera ad vitam eternam ce qui trône en son cœur atomique. Tel est son devoir. Telle est sa destinée. Et il la suivra, inflexible et sauvage.


 La poussière retomba sur le champ de bataille. La plaine était dévastée, meurtrie, et ne saurait s'en remettre. Des milliers de corps réduits en cendre gisaient, attendant que le vent les emporte loin d'ici. Lentement, épuisé, presque mort, Lance d'Argent s'effondra près de la carcasse inanimée de Fléaux Lumineux.

++Pas encore
++Aurait-il pu en être autrement ?
++Aurions nous pu l'éviter ?
++Tu sais bien que non
++Pourquoi ?
++ . . .  Peut-être est-ce la volonté du Deus ?
++Qu'importe. J'aimerai me reposer.
++Moi aussi.

++Je t'aime, Fléaux
++Je t'aime aussi, Lance